Les obligations légales et éthiques des médecins face au refus de soins

Le refus de soins par un patient place le médecin dans une situation délicate, où s’entrechoquent le respect de l’autonomie du patient et le devoir de protection de sa santé. Cette problématique soulève des questions éthiques et juridiques complexes auxquelles les praticiens doivent être préparés. Quelles sont les obligations légales du médecin ? Comment concilier respect du choix du patient et responsabilité professionnelle ? Quelles procédures suivre face à un refus de traitement ? Examinons les enjeux et les bonnes pratiques à adopter dans ces situations sensibles.

Le cadre légal du refus de soins en France

Le droit français reconnaît le principe fondamental du consentement libre et éclairé du patient aux actes médicaux. Ce principe est inscrit dans le Code de la santé publique et découle du respect de la dignité et de l’intégrité de la personne humaine. Ainsi, tout patient a le droit de refuser un traitement, même si ce refus met sa vie en danger.

L’article L. 1111-4 du Code de la santé publique stipule clairement : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. […] Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. »

Ce droit au refus s’applique à tous les patients, y compris en fin de vie. La loi Claeys-Leonetti de 2016 a renforcé ce droit en permettant aux patients de rédiger des directives anticipées pour exprimer leurs volontés concernant leur fin de vie.

Néanmoins, le cadre légal prévoit des exceptions, notamment :

  • L’urgence vitale immédiate
  • Le risque de transmission d’une maladie grave à un tiers
  • Les soins psychiatriques sans consentement
  • La protection des mineurs et des majeurs sous tutelle

Dans ces situations particulières, le médecin peut être amené à passer outre le refus du patient, tout en respectant des procédures strictes.

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L’obligation d’information et de conseil du médecin

Face à un refus de soins, la première obligation du médecin est d’informer pleinement le patient des conséquences de sa décision. Cette information doit être :

  • Claire et loyale
  • Adaptée à la compréhension du patient
  • Exhaustive sur les risques encourus
  • Répétée si nécessaire

Le Conseil national de l’Ordre des médecins insiste sur l’importance de cette étape : « Le médecin doit s’efforcer de convaincre le patient d’accepter les soins indispensables, au besoin avec l’aide de tiers. »

Le praticien doit expliquer en détail :

  • La nature de la maladie ou de la condition médicale
  • Les traitements proposés et leurs bénéfices attendus
  • Les risques en cas de non-traitement
  • Les alternatives thérapeutiques éventuelles

Il est recommandé de consacrer le temps nécessaire à ces explications, d’utiliser un langage accessible et de s’assurer que le patient a bien compris les enjeux. Le médecin peut proposer un délai de réflexion ou suggérer un deuxième avis médical.

L’objectif n’est pas de forcer le consentement, mais de s’assurer que le refus est éclairé et réfléchi. Le médecin doit respecter la décision finale du patient, même s’il la désapprouve d’un point de vue médical.

La traçabilité et la documentation du refus

Une fois que le patient maintient son refus malgré les explications fournies, le médecin a l’obligation de documenter précisément la situation. Cette étape est cruciale tant sur le plan médical que juridique.

Le praticien doit :

  • Noter dans le dossier médical le refus du patient et les informations fournies
  • Faire signer au patient une attestation de refus de soins
  • Consigner les échanges et les efforts déployés pour convaincre le patient

L’attestation de refus de soins est un document important qui protège le médecin en cas de poursuites ultérieures. Elle doit mentionner :

  • L’identité du patient
  • La nature des soins refusés
  • Les risques expliqués au patient
  • La confirmation que le patient a reçu une information claire et complète
  • La signature du patient (ou d’un témoin si le patient refuse de signer)

Il est recommandé d’utiliser un modèle type d’attestation, validé par le service juridique de l’établissement ou l’Ordre des médecins.

Le Conseil national de l’Ordre des médecins souligne : « La traçabilité des informations données au patient et de son refus est indispensable. Elle permet de prouver que le médecin a rempli son obligation d’information et de conseil. »

En cas de refus verbal, il est conseillé de faire confirmer ce refus par écrit dès que possible, ou à défaut de le faire attester par un tiers (un autre soignant par exemple).

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La continuité des soins et l’accompagnement du patient

Le refus d’un traitement spécifique ne signifie pas l’arrêt de toute prise en charge médicale. Le médecin a l’obligation de continuer à assurer des soins adaptés et à accompagner le patient, dans la mesure du possible.

Cela implique de :

  • Proposer des alternatives thérapeutiques acceptables pour le patient
  • Assurer un suivi régulier pour réévaluer la situation
  • Soulager la douleur et les symptômes inconfortables
  • Offrir un soutien psychologique si nécessaire

Le Code de déontologie médicale rappelle que « le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. »

Dans certains cas, il peut être judicieux d’impliquer l’entourage du patient, avec son accord, pour faciliter la communication et la prise de décision. Le médecin peut aussi suggérer une consultation avec un médiateur médical ou un comité d’éthique pour aider à résoudre les conflits.

Si le refus concerne un traitement vital, le médecin doit redoubler d’efforts pour maintenir le dialogue et proposer des solutions alternatives. Il peut être nécessaire de réévaluer régulièrement la décision du patient, car celle-ci peut évoluer avec le temps.

Les situations particulières et les exceptions légales

Bien que le principe du consentement soit fondamental, il existe des situations où le médecin peut être amené à passer outre le refus du patient. Ces exceptions sont strictement encadrées par la loi et doivent être appliquées avec discernement.

L’urgence vitale

En cas de danger immédiat pour la vie du patient, le médecin peut intervenir sans son consentement. L’article R. 4127-9 du Code de la santé publique stipule : « Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril ou, informé qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires. »

Toutefois, cette exception ne s’applique que si :

  • Le pronostic vital est engagé à très court terme
  • Les soins envisagés ont une chance raisonnable d’être efficaces
  • Le patient n’a pas exprimé de volonté contraire antérieurement (directives anticipées)

Le risque de transmission d’une maladie grave

Dans le cas de certaines maladies infectieuses, le médecin peut être amené à imposer des soins pour protéger la santé publique. C’est le cas notamment pour la tuberculose ou certaines maladies sexuellement transmissibles.

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Les soins psychiatriques sans consentement

La loi prévoit des procédures spécifiques pour les patients souffrant de troubles mentaux qui nécessitent des soins et dont l’état représente un danger pour eux-mêmes ou pour autrui. Ces procédures sont encadrées par les articles L. 3211-1 et suivants du Code de la santé publique.

La protection des mineurs et des majeurs protégés

Pour les patients mineurs ou sous tutelle, le consentement aux soins relève de l’autorité parentale ou du tuteur légal. Cependant, le médecin doit s’efforcer de recueillir l’avis du patient et peut, dans certains cas, passer outre le refus des parents si la santé du mineur est en jeu.

Dans toutes ces situations exceptionnelles, le médecin doit documenter précisément les raisons qui l’ont conduit à agir sans le consentement du patient et informer les autorités compétentes si nécessaire.

Les implications éthiques et la responsabilité du médecin

Le refus de soins place le médecin face à un dilemme éthique : respecter l’autonomie du patient ou agir selon ce qu’il estime être le meilleur intérêt médical de celui-ci. Cette tension est au cœur de nombreux débats bioéthiques.

Le principe d’autonomie du patient est un pilier de l’éthique médicale moderne. Il reconnaît la capacité de chacun à prendre des décisions concernant sa propre santé, même si ces décisions peuvent sembler irrationnelles ou dangereuses aux yeux du corps médical.

Cependant, le médecin a aussi un devoir de bienfaisance et de non-malfaisance envers son patient. Il peut se sentir en conflit avec sa mission de soigner et de préserver la vie.

Face à ces dilemmes, le médecin doit :

  • Respecter la décision du patient tout en continuant à lui offrir son soutien
  • Chercher à comprendre les raisons profondes du refus (peur, croyances, expériences passées)
  • Proposer des alternatives ou des compromis acceptables
  • Consulter ses pairs ou un comité d’éthique en cas de doute

Sur le plan de la responsabilité juridique, un médecin qui respecte la volonté éclairée d’un patient de refuser des soins ne peut en principe pas être poursuivi pour non-assistance à personne en danger. Toutefois, sa responsabilité pourrait être engagée s’il n’a pas correctement informé le patient ou s’il n’a pas tout mis en œuvre pour le convaincre d’accepter les soins nécessaires.

Le Conseil d’État a rappelé dans plusieurs arrêts que « le droit pour le patient majeur de donner, lorsqu’il se trouve en état de l’exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d’une liberté fondamentale ».

En définitive, le médecin doit naviguer avec prudence entre le respect de l’autonomie du patient et son devoir de protection de la santé. Une communication ouverte, une documentation rigoureuse et une réflexion éthique approfondie sont les meilleures garanties pour gérer ces situations complexes.